INRA : notes de l’élu SUD au Conseil d’Administration du 13 octobre 2016

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Il s’agit d’une réunion de rentrée du CA particulière à deux titres : elle est présidée pour la première fois par le nouveau PDG, Philippe Mauguin, et à son ordre du jour est annoncée la finalisation du « docdor », document d’orientation scientifique de l’INRA pour les dix années à venir…

En pièce jointe les notes de l’élu SUD

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Intervention SUD sur le "docdor" = document d’orientation

Notre syndicat SUD a fait une lecture attentive du document proposé et il tient tout d’abord à saluer l’avant-propos qui a été ajouté par le PDG car celui-ci cadre bien les enjeux auxquels font face l’agriculture et l’alimentation aujourd’hui. Même si nous regrettons certaines tournures de phrase à l’exemple de celle disant que « la hausse continue de la production agricole a été rendue possible par des démarches d’uniformisation et de simplification des systèmes agricoles » qui suggère que seule cette voie reposant sur l’emploi massif d’intrants et de pesticides pouvait permettre une hausse de la production agricole, l’analyse présentée dans ce document est très concordante avec les analyses faites par SUD sur la gravité de la situation actuelle et l’ampleur des défis posés à l’agriculture.

Si cette introduction laissait donc augurer des changements conséquents dans le document d’orientation, il s’est avéré en fait que ceux-ci étaient assez limités par rapport à la version proposée par le précédent PDG au mois de mai. Nous n’allons pas reprendre dans le détail tout ce qui ne nous convient pas dans le document présenté car nombre de critiques avaient été déjà formulées lors du précédent CA en juin. En revanche nous allons montrer à travers quelques exemples combien la vision proposée dans ce document nous semble bien éloignée des défis posés.

Tout d’abord, la priorité thématique #Global sur « l’ambition globale d’atteindre la sécurité alimentaire dans un contexte de transitions » reste trop axée sur les quantités produites (ce qu’on appelle « la disponibilité alimentaire »), qui ne représentent qu’une des dimensions de la sécurité alimentaire. Dans cette partie, nous continuons de récuser la phrase sibylline « c’est un véritable défi que de se préparer à nourrir 10 milliards de personnes d’ici quelques décennies en traitant la malnutrition dans un contexte de ressources dont nous savons aujourd’hui la finitude et qui sont compromises par un dérèglement climatique en cours ». Tout d’abord, derrière le terme « nourrir », il y a implicitement la notion de quantités produites, qui n’est qu’une dimension de la sécurité alimentaire, nous y reviendrons plus tard.

Ensuite, est-ce vraiment un défi pour la France et pour l’INRA de nourrir 10 milliards de personnes ? L’autosuffisance alimentaire des peuples doit être la règle et si la France et l’INRA peuvent contribuer à cela, c’est en apportant leurs compétences aux Etats et aux populations qui en ont besoin pour parvenir à cette autosuffisance. Nous demandons donc que cette phrase soit enlevée du document d’orientation. Plus globalement, la focalisation sur la disponibilité alimentaire apparaît tout autant dans les objectifs et recherches définis dans cette partie. Nous demandons que les propositions de recherche dans cette partie soient rééquilibrées pour inclure, au même titre et au même niveau que la disponibilité alimentaire, les trois autres dimensions de la sécurité alimentaire : l’accès, incluant la pauvreté et les inégalités, qui ne figure pas dans le document sauf partiellement via la thématique de l’accès à la terre ; la régularité, avec la question du nécessaire maintien des agroécosystèmes dans un bon état pour qu’ils continuent d’être en mesure de produire, ce qui nécessite entre autres choses un maintien de la biodiversité et de la qualité des ressources naturelles ; la qualité alimentaire.

Un autre exemple du manque d’ambition du document proposé peut être donné avec ce qui concerne la priorité sur les systèmes agricoles et forestiers face au défi climatique. Dans cette partie, le choix est clairement fait d’accompagner l’agriculture face au défi climatique et presque rien n’est proposé sur ce qui pourrait être réalisé pour diminuer la contribution de l’agriculture dans la production de GES. C’est ainsi que si l’on regarde les objectifs de recherche sur « La maîtrise de la contribution de l’agriculture et de la forêt à l’effet de serre », alors que l’on dispose d’ores et déjà de suffisamment de données pour s’intéresser à des questions essentielles telle que celle relative aux émissions de méthane par les élevages bovins, dont tout le monde s’accorde à dire que c’est un processus majeur dans la contribution de l’agriculture aux gaz à effet de serre, rien n’est clairement proposé sur cette question en terme de travaux de recherche sur les modalités qui pourraient permettre de réduire cet impact. De même, nous ne voyons pas non plus d’objectifs de recherche clairement affichés au sujet de la réduction dans l’émission des GES que pourrait générer le changement des pratiques agricoles, par exemple la réduction des intrants, comme les engrais azotés de synthèse, qui contribuent significativement à la production de GES.

Alors bien sûr nous avons fini par trouver un exemple concret de la contribution de l’INRA dans la réduction du CO2 atmosphérique mais cet exemple concret figurait ailleurs que dans ce document d’orientation. Un autre document nous est en effet proposé dans le cadre de ce Conseil d’Administration concernant la prise de participation de l’INRA dans la startup EnobraQ visant à développer et industrialiser des brevets obtenus dans le cadre du projet Carboyeast de Toulouse White Biotechnology, notez les anglicismes des acronymes. Le projet n’hésite pas à s’inscrire dans le contexte de la COP21 pour proposer une levure génétiquement modifiée pour être fixatrice de CO2, ce qui permettra notamment, je cite, de « fixer et stocker sur le long terme des GES », rien moins que cela. Comme vous le savez tous, il existe depuis des milliards d’années sur terre des organismes capables de faire la même chose, ce sont les organismes photosynthétiques. Sans manipulation génétique, ces organismes fixent chaque année des gigatonnes de CO2 dans les forêts, les océans et bien d’autres écosystèmes, ce qui est sans commune mesure avec la part de CO2 qui pourrait être fixée dans les réacteurs à levure génétiquement modifiée, même si ceux-ci étaient très nombreux ! Alors, bien sûr on peut rire de ce genre de projet s’inscrivant soit disant dans le cadre de la COP21, mais nous à SUD, cela nous fait plutôt pleurer car le soutien à de tels projets révèle combien la fascination pour la technologie reste prégnante au sein de notre institut et des choix de sa direction, au détriment de mesures plus profondes sur l’organisation et le fonctionnement de nos systèmes agricoles et alimentaires.

Enfin, à l’heure du chômage de masse et de la désertification de vastes territoires ruraux qui s’accompagne d’une sub-urbanisation croissante des populations, nous regrettons que ne figure nulle part dans ce document la moindre interrogation sur ce que la recherche agronomique pourrait apporter comme éléments de réponse à ces questions, par exemple en favorisant la mise en œuvre de nouveaux systèmes de production, alors que dans le même temps le soutien affiché aux systèmes actuels ne fera, dans les années futures, qu’amplifier ces processus de désertification et de pertes d’emploi dans l’agriculture.

Pour terminer, nous avons donc le sentiment que le contenu de ce document d’orientation n’est pas à la hauteur du constat réalisé en préambule et des défis posés. Comme nous l’avons illustré à travers quelques exemples, les solutions proposées ne sont que des tentatives destinées à tenter de maintenir un système qui est à bout de souffle et pour reprendre une nouvelle fois le grand penseur du 20e siècle qu’était Francis Blanche, nous reposons la question fondamentale qui est de savoir s’il faut « changer le pansement » comme cela nous est proposé ici ou « penser le changement » comme la situation le demande. Et c’est pourquoi SUD fait la proposition qu’au-delà des trois chantiers de prospectives proposés dans le document, qui sont intéressants mais qui ne feront que s’ajouter aux nombreuses prospectives déjà menées ces dernières années sans fournir de vision et de réponse holistique aux défis posés, nous demandons à ce que soit engagé un Grenelle de la recherche agronomique et de l’agriculture qui associerait dans la réflexion les différents acteurs du secteur dont les agriculteurs et les chercheurs mais aussi les représentants du secteur associatif. Nous sommes prêts à contribuer au montage d’un tel événement qui nous semble être la seule solution susceptible de pouvoir insuffler les changements nécessaires.

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