CNRS : Où va le CNRS ? Pendant la démolition, les travaux continuent-ils ?

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C’est fatigant d’avoir raison !

Depuis bientôt quatre ans, nous ne cessons de dénoncer la cohérence des mesures gouvernementales qui tendent toutes à brader le potentiel de la recherche publique. Toujours plus loin, toujours plus vite, le gouvernement actuel semble encore plus pressé de saborder le CNRS.

Une nouvelle étape semble avoir été franchie mercredi 10 octobre, lorsque le conseil scientifique du CNRS a été sommé de cesser ses travaux sur le « plan stratégique », retiré de l’ordre du jour du conseil d’administration [1].

Pourtant, celui-ci ne semblait pas de nature à gêner la politique du ministère, comme nous le soulignions dans notre compte-rendu du pré-ctp de septembre). Les dernières évolutions de ce document, sous la férule de la DGRI (Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation), avaient déjà bien entamé la portée des ambitions de l’organisme, convié à ne plus être qu’une agence de moyens.

Alors, que signifie ce coup d’éclat ? Ne s’agirait-il pas de « mettre la pression » sur la direction du CNRS pour qu’elle accélère la cession de son potentiel de recherche aux universités [2] ? C’est ce vers quoi concourent toutes les analyses, y compris celle de Albert Fert, qui a appris en même temps son prix Nobel et la petite bombe du ministère de la recherche :

(...) « En cette pé­riode de transformation de notre système de recherche, j’ai envie de dire à notre ministre Valérie Pécresse d’éviter une approche idéologique, qu’il faut absolument garder la capacité de coordination, d’élaboration d’une stratégie nationale du CNRS, capacité dont l’Agence nationale de la recherche (ANR) n’est pas dotée. Ce que dit ce Nobel, c’est aussi que si la recherche est importante pour l’économie, elle commence par des travaux fondamentaux qu’il faut ensuite trans­férer de manière fluide vers les entreprises » (...)

(Libération du 10 octobre 2007)

 [3]

Après la création de l’ANR, de l’AERES et la volonté de placer toutes les UMR sous tutelle de l’Université,le CNRS, transformé en agence de moyens, vidé de sa capacité à mener des programmes de recherche de fond, ne pourra plus être l’élément structurant de la recherche publique en France. Par cela, c’est tout le système de recherche Français qui est remis en cause.

Essaierait-on par là de redynamiser la recherche publique, de lui donner les moyens de renforcer sa reconnaissance sur la scène internationale, ou même seulement, comme d’aucuns le prétendent, d’améliorer sa capacité à provoquer des retombées dans l’économie ?

Si c’était le cas, nous pourrions contribuer à cet effort. Mais il aurait fallu pour celà se pencher sereinement sur les difficultés des structures actuelles, et les modifier en conséquence.

En premier lieu, il y a bien sûr le financement. La recherche publique française en général et le CNRS en particulier meurt d’un manque de financement récurrent. Des publications scientifiques anglo-saxones, que l’on peut difficilement qualifier de révolutionnaire, montraient il y a quelque mois que la baisse de la recherche française dans la bibliométrie internationale était concomitante de la baisse de financement des unités de recherche. Que fait-on pour pallier à ça ? On diminue encore plus le financement récurrent pour alimenter une ANR presque uniquement orientée sur les intérêts industriels !

Bien sûr, on jette de la poudre aux yeux du contribuable en lui clamant haut et fort que l’on va augmenter le budget de la recherche publique. Mais qu’en est-il en réalité ? La décision récente du Ministère des finances d’affecter 90 % des 112 millions d’euros supplémentaires sur le budget 2008 du CNRS (par rapport à 2007) au paiement de l’augmentation du taux de cotisation retraite des salariés est symptomatique du peu de cas fait par le gouvernement quand il s’agit du CNRS. Au final, la subvention d’Etat du CNRS augmentera en 2008 de 0,6 % en euros courants (« Les échos » du 09/10/2007). Nous sommes bien loin des 5 % promis par le gouvernement. [4]

La force de la recherche française, c’était sa capacité, avec son personnel titulaire et ses financements recurrents, à entretenir des projets de recherche à long terme protégés des modes du moment. Et le CNRS était à ce point de vue un maillon essentiel du dispositif, là où les enseignants-chercheurs écrasés par des tâches d’enseignement et administratives pouvaient s’appuyer sur des chercheurs à plein temps, là où les universités sans moyens financiers suffisants pouvaient consacrer quelques deniers pour démarrer des sujets originaux. La grande faiblesse du CNRS, c’est - c’était ? - son conservatisme scientifique, là où le mot « interdisciplinaire » relève de l’incantation pour les uns, de l’obscénité pour les autres.

Que fait-on pour remédier à celà ? Se pose-t-on les bonnes questions sur la gestion des disciplines au CNRS (à ne pas confondre avec l’évaluation) ? Donne-t-on aux universités les moyens de mener une véritable politique scientifique ? recrute-t-on des enseignants-chercheurs ? Non ! On va transférer tout le potentiel de recherche aux universités, dont les présidents, dotés des pleins pouvoirs d’un chef d’entreprise depuis la loi "LRU" votée en urgence cet été, mais condamnés dans le même temps à rechercher eux-mêmes les financements nécessaires, n’auront d’autres choix que de sacrifier des domaines entiers du savoir pour essayer de « coller » aux « demandes de la société » [5]. Ils n’auront pas d’autres choix que de généraliser le recrutement de personnels précaires, sans la protection d’un statut qui leur permettrait de défendre leur travail, sans parler de leur capacité à rendre des expertises indépendantes.

Et que deviendront les personnels actuels ? Les chercheurs, transformés de force en « chercheurs-enseignants », nous ne le savons pas. Les ITAs pourront-ils être « réaffectés » dans d’autres unités, d’autres domaines scientifiques, sans aucun recours auprès des instances du CNRS puisque placés sous la responsabilité des présidents d’université ? Leur appartenance même au CNRS est-elle garantie, alors que le précédant gouvernement voulait transférer tout le personnel technique et administratif des universités aux collectivités territoriales ?

Si les réformes nécessaires pour remplir au mieux les missions de la recherche publique en France imposaient le démantèlement du CNRS, nous ne lèverions pas le petit doigt pour le défendre : nous ne sommes pas attachés à une structure ou à un nom, mais à notre mission. Mais ce à quoi on assiste là, c’est à une destruction systématique du potentiel de recherche français. Que ce soit par aveuglement idéologique ou pour des raisons plus troubles, nous ne pouvons que lutter contre ce démantèlement. Et ça commence le 18 Octobre !

Nous rencontrions il y a quelque temps des élèves de 6e d’un collège Jean Perrin, tous fiers d’apprendre que celui-ci avait « créé le CNRS ». gageons qu’il n’y aura pas un jour de collège Valérie Pécresse...

[1voir la synthèse des informations à ce sujet faite par Yves Langevin, président de la conférence des présidents de section

[2Dès la rentrée 2008 peut-être

[3La réponse de la ministre, si l’on en croit les présents ? « Excusez-moi, je dois vous quitter, le président m’appelle ». Evidemment, un prix nobel, ça dérange un peu dans certains cas !

[4Bien sûr, il y a le modèle américain, qui fait rêver tous les « petits chefs », qui se voient déjà avec une armée de posts-docs précaires et aux ordres leur concoctant plein de publications où leur nom apparaîtrait en gras ! ce qu’on oublie de dire, c’est que si on s’aligne sur ce modèle, avec un « rendement » identique, la recherche française « produira » 5 à 6 fois moins que la recherche américaine, soit moins que les résultats actuels, que l’on trouve déjà insuffisants. Et l’on oublie également de comparer l’attitude des industriels français, qui sacrifient l’un après l’autre leur potentiel de recherche et développement au bénéfice de placement financiers à court terme, à celle des industriels américains qui financent en grande partie la recherche publique américaine, sans exiger de contre-partie, et entretiennent leur propre potentiel de recherche de façon à développer eux-mêmes immédiatement les idées « exploitables » économiquement. Que les industries françaises soient en grande partie contrôlées par des intérêts américains n’a bien sûr rien à voir dans l’affaire !

[5comprendre : aux lubies des dirigeants politiques et des financiers

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