Une charte de déontologie à l’INRA pour faire écran à une science... embobinée ?
Une accroche en forme de clin d’œil au festival « Sciences en bobines 2013 », pour présenter quelques facettes des positions que défend SUD-Recherche-EPST, en s’appuyant sur un sujet d’actualité : l’élaboration d’une « charte de déontologie » à l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique).
et en pièce jointe une version illustrée pour impression, affichage...
Les pouvoirs publics , pour faire contre-poids à l’image donnée par le scandale de l’ancien ministre du budget, ont (difficilement !) fait voter une loi sur la transparence des élus (en juillet dernier), et travaillent maintenant sur un autre projet de loi relatif à « la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires »
Début 2013, la direction de l’INRA avait déjà pris l’initiative d’une charte de déontologie, censée redonner confiance en la recherche publique. Mais le contenu de cette charte est loin d’être à la hauteur des enjeux. Et si bonne soit-elle une charte ne suffirait pas à changer la donne : ce sont les politiques de soumission de la recherche publique aux intérêts privés (via les modes de financement, la fragilisation des salariés…), sans cesse amplifiées depuis 1999, qu’il faut stopper !
Pour une recherche publique respectueuse de tous ses personnels, au service de l’intérêt général et non du profit, un changement de cap radical s’impose !
– La recherche publique ne peut s’accommoder d’une succession de projets à courte vue, elle doit se faire avec une pérennité et une indépendance par rapport aux intérêts privés et aux pressions politiques que seuls l’emploi statutaire et le financement sur crédits récurrents de l’État peuvent garantir.
– Nous voulons travailler dans un cadre non de compétition, mais de coopération où l’efficacité collective est bien plus que la somme des efficacités individuelles. La politique actuelle, orientée vers la compétition, nie le travail d’équipe et assimile l’intérêt général à celui des entreprises privées et de leurs actionnaires.
– Les politiques scientifiques devraient être basées sur une interaction avec l’ensemble des acteurs concernés par la recherche publique pour qu’un véritable débat contradictoire sur les choix stratégiques de recherche ait lieu.
– Pour une recherche qui offre une expertise publique indépendante, permettant ainsi notamment de renouer une relation de confiance entre les citoyens et la recherche celle-ci s’étant fortement affaiblie ces dernières années.
– Sud Recherche EPST défend un statut des lanceurs d’alerte et la création d’une clause de conscience pour la sauvegarde d’un intérêt général.
– Pour le droit des générations futures à disposer d’une planète vivable… avec une politique publique de la recherche soutenant fortement une agriculture durable, des transports durables, etc… Et des EPST durables !
– Nous demandons la réorientation des sommes colossales d’argent public dilapidées dans le Crédit Impôt Recherche et autres « investissements d’avenir » vers le financement de politiques d’intérêt général, en premier lieu vers le financement des services publics et d’un plan de titularisation des précaires.
– Nous demandons l’abrogation des dispositifs d’intéressement mis en place par la loi de 1999 sur la recherche et l’innovation, et de la prime d’intéressement collectif de Pécresse qui en est le prolongement.
Sur la charte de déontologie INRA, expression de l’élu SUD au CA - Mars 2013
Nous regrettons que le contenu de cette charte ne soit pas à la hauteur des enjeux auxquels est confronté notre organisme de recherche. En effet, cette charte mobilise des concepts flous sans préciser leurs modalités de mise en œuvre. La direction générale précise, de plus, que cette charte ne présentera jamais un caractère légal. Il est donc difficile de savoir à quoi elle servira, à part peut-être un outil de communication.
A travers cette charte, l’INRA promeut « l’objectivité, l’impartialité et l’indépendance » des pratiques de recherche. Qu’est-ce qu’une recherche objective, impartiale et indépendante ? Le texte ne le précise pas. Il aurait bien du mal à le faire de façon convaincante, car une telle recherche n’existe pas ! Il nous semblerait plus fructueux de le reconnaître, et de réfléchir aux conditions qui favorisent la mise à l’épreuve par chacun de sa subjectivité, de sa partialité, et de sa vision du monde _nous en avons tous_ de réfléchir aux conditions qui encouragent la rigueur, et qui permettent de confronter les points de vue contradictoires dans le respect mutuel et la réflexion …
L’accent mis sur « l’objectivité » et « l’impartialité » nous semble contreproductif voire dangereux, parce qu’il peut revenir à nier la pluralité des approches et des points de vue. Il existe un risque qu’une recherche scientifique soit considérée comme non objective, donc non déontologique, tout simplement parce qu’elle s’écarte trop d’une norme que tous ont adoptée et que personne ne questionne … En ce sens, cet accent sur « l’objectivité » et « l’impartialité » peut même entrer en contradiction avec le souhait de protection des lanceurs d’alerte.
Les « déclarations de liens d’intérêt » ne suffisent pas à prévenir les conflits d’intérêt. Les « conflits d’intérêt » ne sont mentionnés qu’une fois dans cette charte, au sujet de l’expertise collective. La déclaration des liens d’intérêt (qui détaille essentiellement les financements reçus) est présentée comme un outil permettant de les prévenir.
Nous considérons que cette conception des conflits d’intérêt est trop étroite. Les conflits d’intérêt (qui ne se manifestent pas seulement dans l’activité d’expertise, mais également dans toute activité de recherche) sont, au sens large, tout conflit entre l’intérêt personnel et l’intérêt professionnel.
Or dans le monde de la recherche, actuellement tout incite à une certaine forme de conformisme pour obtenir des financements, être dans un bon réseau, et ne pas être en tension avec sa hiérarchie. Le conflit d’intérêt est donc potentiellement présent partout et pour tous de manière latente, et ceci de plus en plus avec la part croissante des partenariats demandés avec le secteur privé. Concrètement, la charte ne propose rien pour lutter contre ces conflits d’intérêt.
La dynamique collective ne peut pas être juste un vœu pieux ! La charte affirme que la direction mettra en œuvre une politique soucieuse de l’environnement de travail, favorisant le développement des compétences personnelles et collectives, et que les responsables de collectif auront pour enjeu d’accroître les compétences des individus dans une dynamique collective. La direction de l’INRA compte-t-elle bouleverser pour cela les méthodes de management actuelles ? Elle ne le précise pas. Dans un contexte où montent la concurrence entre chercheurs, l’individualisation des projets et la disparition progressive de la dimension collective, encouragées par toutes les réformes récentes dans la recherche publique, on ne comprend pas bien comment la direction compte mettre en œuvre les grands principes qu’elle énonce sur la dimension collective de la recherche.
En conclusion, nous demandons l’abandon de ce projet de charte de déontologie aux principes flous et non contraignants. Nous demandons qu’elle soit remplacée par une obligation pour les chercheurs de déclarer leurs compléments de salaire dans le cadre de consultances, d’expertises, de participations à des chaires avec des partenaires privés et leurs financements de recherche privés, pour une avancée concrète vers la transparence sur les conditions dans lesquelles les recherches sont menées dans notre institut.
Enfin, des budgets publics et des emplois de titulaires en nombre suffisant sont des conditions incontournables pour des orientations et choix de recherche au service de l’intérêt général.
SUD continuera, comme le demandent de nombreux collègues, à revendiquer fortement le droit à chacun de pouvoir exprimer son point de vue sur les recherches menées par le service public.
Pour clore sur une note optimiste, comment faire pour donner de l’espoir en l’avenir ?
Extrait de la conclusion de la note de lecture SUD du livre de Marion Guillou (ex-PDG de l’INRA) : « 9 milliards d’êtres humains à nourrir, un défi pour demain »
En ces temps incertains où la société commence tout juste à prendre conscience de la gravité des défis écologiques qui s’imposent à nous et où une proportion beaucoup trop importante de la population humaine mondiale souffre de malnutrition, il est urgent d’écouter tous les porteurs d’enjeux sur les questions d’agriculture, d’environnement et d’alimentation pour penser global ET local et agir local ET global.
Dans la recette à préparer pour nourrir 9 milliards d’être humains, tous les ingrédients devront entrer : valorisation de toutes les récoltes (ni destructions spéculatives, ni pertes au stockage), limitation drastique du gaspillage, sécurité alimentaire (nourriture suffisante, salubre et nutritive pour tous systèmes de production économes et autonomes (efficience des intrants en contexte d’énergie chère) pour produire mieux, valorisation des biotechnologies efficaces et des services écosystémiques, fédération des forces créatives pour des innovations agronomiques partagées (agriculteurs et recherche agronomique institutionnelle).
Oublier une partie de la recette, c’est risquer l’échec