Le projet de loi « Pacte » menace l’indépendance de la recherche publique et la déontologie Analyse du syndicat SUD Recherche EPST – Solidaires

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Le projet de Loi Pacte est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale. L’article 41 de ce projet de Loi - assez fourre-tout et globalement très critiquable - concerne plus spécifiquement la recherche publique, aussi nous avons envoyé à l’ensemble des députées et députés qui constitue la "Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises" notre analyse ci-dessous qui souligne les dangers que fait peser cet article de Loi à la fois sur l’indépendance de la recherche publique et sur la déontologie.

Si ces mesures étaient votées, un chercheur du public pourrait travailler « à son compte » 50 % de son temps tout en continuant à travailler au sein de son laboratoire public. Si ces mesures étaient votées, l’avis de la commission de déontologie ne serait plus obligatoire....
Nous invitons aussi chacun d’entre vous à communiquer cette analyse à la députée ou au député de votre circonscription dès début septembre, le texte devant arriver en séance publique la semaine du 17 septembre.

ET cette semaine, à partir du mercredi 12, une commission spéciale de l’Assemblée Nationale, continue la discussion sur les articles de ce projet.
Disons-leur que sacrifier les principes de la déontologie des agents publics, de l’intégrité scientifique, de l’indépendance de la recherche et de l’expertise publiques, n’est pas la solution pour développer la recherche privée ! et d’empêcher, entre autres, l’adoption des dispositions de l’article 41 du projet de loi « PACTE ».

(en lien, liste des membres de cette commission)

Le gouvernement a déposé le 19 juin dernier sur le bureau de l‘Assemblée Nationale un projet de loi « relatif à la croissance et la transformation des entreprises », baptisé « PACTE » (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) par son initiateur, le Ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Ce projet de loi est un fourre-tout de propositions qui ont en commun de faire primer l’intérêt de « l’entreprise » sur toute autre considération. Tout ce qui de près ou de loin apparait comme un frein à la liberté de l’entrepreneur doit être supprimé !

Parmi ces mesures il en est une qui nous interpelle particulièrement en tant que syndicat de la Recherche Publique : il est proposé dans l’article 41 de « faire évoluer les dispositions du code de la recherche pour créer un environnement de confiance vis-à-vis des chercheurs souhaitant créer ou participer à la vie d’une entreprise afin de simplifier leur parcours et leur implication ». Autrement dit élargir la brèche créée par la loi Allègre de 1999 pour faire sauter les digues entre l’exercice des missions de service public et les intérêts privés ! C’est purement et simplement un moyen supplémentaire de détournement de moyens publics au service d’intérêts privés, qui s’ajoute au Crédit d’Impôt Recherche et autres cadeaux fiscaux...

Est-ce dangereux ? Oui ! Est-ce utile ? Non !

La Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans son article 25 septies, impose au fonctionnaire de se consacrer pleinement à l’exercice de ses fonctions, et lui interdit d’exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. Mais plusieurs dérogations à ce principe – qui constitue pourtant l’une des garanties d’indépendance du fonctionnaire – ont été introduites ces dernières années.
Pour la recherche publique, c’est dès 1999 qu’une brèche est ouverte par la Loi Allègre qui permet à tout.e fonctionnaire d’exercer des activités privées sous diverses formes : participer à la création d’une entreprise ayant pour but de valoriser « ses » travaux de recherche, posséder des parts dans le capital social de cette entreprise, ou apporter son concours scientifique (rémunéré !) à une entreprise extérieure qui assure la valorisation de travaux de recherche menés dans le cadre du laboratoire public. Un certain nombre de garde-fous avaient cependant été mis en place :
• Le fonctionnaire ne pouvait mener de front ses activités de recherche publique et le développement de son entreprise privée (il fallait qu’il choisisse entre les deux) ;
• il ne pouvait consacrer « que » 20 % de son temps au maximum à apporter son concours scientifique à une entreprise privée ;
• surtout, chacune de ces activités privées ne pouvait être autorisée par l’employeur – pour une durée limitée – qu’après avoir reçu un avis favorable de la commission de déontologie de la fonction publique qui devait être systématiquement saisie.

L’article 41 du projet de Loi « PACTE » examiné en ce moment par la commission spéciale constituée au sein de l’Assemblée nationale fait voler en éclats ces quelques garde-fous. Si ces mesures étaient votées, un chercheur du public pourrait travailler « à son compte » 50 % de son temps tout en continuant à travailler au sein de son laboratoire public et à percevoir son salaire de fonctionnaire. Si ces mesures étaient votées, l’avis de la commission de déontologie ne serait plus requis… sauf si l’employeur le jugeait nécessaire : les employeurs publics seraient seuls juges de l’octroi des autorisations… Sachant la pression qu’ils subissent de la part du pouvoir politique en faveur de ce type de dispositifs (entre autres à travers les indicateurs des contrats d’objectifs), gageons qu’ils sauraient faire montre de la « souplesse » attendue de leur part.

Les chercheurs publics et leurs employeurs sont incités par ceux-là même qui devraient en être les garants, à s’asseoir sur l’indépendance du service public et sur les règles de déontologie des agents publics ! Tout en les invitant bien sûr à respecter la « charte de déontologie des métiers de la recherche » signée par la plupart des directions d’établissements de recherche publique… L’hypocrisie règne en maître, mais personne n’est dupe : les incitations à transgresser toutes les barrières entre intérêt public et intérêts privés, ce gouvernement veut les inscrire dans la loi ; l’appel au respect des règles de déontologie et de l’intégrité scientifique, il les met en vitrine dans des « chartes » sans aucune valeur juridique… mais qui feront porter la responsabilité des manquements et dérives qui ne manqueront pas de se produire sur les chercheurs eux-mêmes et non sur les apprentis-sorciers qui auront mis en place ce dispositif pousse-au-crime.

SUD-Recherche-EPST s’est toujours opposé à la loi Allègre et à ses divers ajustements, et nous ne pouvons qu’être opposé.e.s à un projet de Loi qui va encore plus loin dans cette logique, qui n’est autre que la marchandisation des savoirs et la captation de moyens publics au profit de quelques intérêts privés, y compris en incitant quelques scientifiques à s’approprier et tirer des revenus personnels de résultats de recherche qui sont toujours le résultat de travaux collectifs présents et passés. Et avec tous les risques que cela comporte de confusion et de discrédit de la parole des scientifiques : lorsqu’un scientifique s’exprimera dans un colloque, dans un article, dans un rapport d’expertise, comment saura-t-on si c’est le fonctionnaire qui s’exprime en toute indépendance ou bien le représentant d’une entreprise ayant des intérêts commerciaux à défendre ? Le scandale des Monsato Papers en est une récente illustration : il a dévoilé la collusion entre des chercheurs d’universités États-uniennes (dont certaines publiques) et cette entreprise privée ; sur un sujet particulièrement grave pour la population : l’utilisation des glyphosates, dans le but d’en minimiser la nocivité. (voir Le Monde des 5 et 6 Octobre 2017)

Pour une « science ouverte » et une « innovation ouverte » !

Nous ne sommes pas opposés à ce que les entreprises bénéficient des résultats de la recherche publique. Au contraire : nous voulons que TOUTES les entreprises puissent en bénéficier. Et pas seulement les entreprises, mais TOUS les secteurs de la société (services publics, associations, citoyens,…) car la recherche publique ne doit pas être enrôlée au service de l’économie de marché mais répondre à l’ensemble des besoins culturels et sociétaux. La collaboration entre public et privé oui, mais sans confusion des genres, dans le respect du rôle et de l’indépendance de chacun.
Ce qui implique que chacun des acteurs de la collaboration ait ses propres financements. C’est en étant financée par le budget de l’État, avec l’argent des impôts de toutes et tous, et en mettant ses résultats gratuitement à disposition de toutes et tous, que la recherche publique pourra remplir au mieux ses missions et irriguer la société. C’est en étant réalisée par des fonctionnaires, rémunérés uniquement par leur salaire (revu à la hausse !) – sans « intéressement » ni « compléments » malsains – que la recherche publique pourra assurer son indépendance et sa neutralité.
La ministre F. Vidal nous dit aujourd’hui qu’elle est pour « la science ouverte » : alors pourquoi pas également « l’innovation ouverte » ?

Sacrifier les principes de la déontologie des agents publics, de l’intégrité scientifique, de l’indépendance de la recherche et de l’expertise publiques, n’est pas la solution pour développer la recherche privée ! Nous appelons les parlementaires, de tous bords, à ne pas permettre ce forfait et à empêcher, entre autres, l’adoption des dispositions de l’article 41 du projet de loi « PACTE ».

Le document pour affichage, diffusion en pièce jointe.

Ci-joint aussi en annexe un tableau 3 colonnes permettant de suivre plus facilement les modifications du Code de la Recherche introduites par cet article 41 du projet de Loi PACTE.

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