INRA « Réorganisation ou désorganisation ? Assez ! Y’en a marre !! »

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INRA - « Réorganisation ou désorganisation ? Assez ! Y’en a marre !! »

A la suite du controversé « conTorsium », déstructurant pour l’INRA, la direction générale se lance à marche forcée dans une nouvelle opération censée cette fois réorganiser l’institut.
Dans le prolongement de la réflexion commandée à François Houiller en octobre 2008, conduite en même temps qu’un audit de la cour des comptes et juste avant l’évaluation de l’INRA par l’AERES (qui vient d’avoir lieu), la direction annonce quatre « chantiers de réflexion » ouverts à une pseudo-consultation sur un rythme effréné. La consultation se termine fin octobre pour une réforme qui commencera dès janvier 2010 et alors que ses « tendances lourdes » sont déjà actées dans le sérail de la direction générale.
Sous couvert de « s’approprier » la future organisation, l’expression des personnels n’est sollicitée que pour mieux faire accepter le projet de réforme, selon la stratégie dite « de l’engagement » bien connue de tous les bons manipulateurs. Cette consultation est organisée pour nous persuader que la « réorganisation » de l’INRA est issue d’une réflexion de l’ensemble des personnels, alors même que cette désorganisation programmée n’est que la soumission de la DG aux visions comptables des ministères et à l’application stricto sensu des « réformes » touchant l’ensemble des EPST.

Si le rapport Houiller est lui-même plutôt de qualité, on ne peut pas en dire autant du niveau de rédaction, de la clarté et de la pertinence des quatre notes introductives rédigées pour ouvrir le chantier : le bulldozer est en marche, et il s’agit surtout de légitimer par ce rapport une réorganisation qui doit plaire à nos gouvernants actuels. Les pré-requis de la réorganisation sont clairs : l’INRA doit se conformer au moule de la recherche par projets et sur programmes, l’INRA doit être réactif (sous-entendu : aux appels d’offres et à la concurrence), l’INRA doit générer davantage d’innovations et de prestations lucratives.

Est-ce donc ainsi que la direction générale prétend conserver la responsabilité de sa stratégie scientifique ?
Garantir la pérennisation d’une recherche publique exploratoire ?

Avant même d’énoncer tout commentaire sur le contenu de ces notes, nous dénonçons ces pré-requis, contraires aux valeurs que nous défendons.
Entre le boycott total et débattre, nous choisissons la voie qui nous apparaît la plus constructive à ce stade, mais refusons que cela engage notre adhésion à des orientations auxquelles nous sommes opposés. Il n’existe aucune garantie que les contributions des uns et des autres servent à quelque chose, sinon à donner un vernis démocratique à des décisions souvent déjà anticipées.
Devons-nous aussi rappeler qu’à l’INRA, hormis le CTP, toutes les instances de concertation sont composées, à majorité, de représentants nommés par la hiérarchie. Ce qui limite encore la capacité d’expression indépendante du personnel ?
Enfin, comment peut-on laisser croire qu’une consultation aussi large puisse être menée en si peu de temps ? Quelle sera son influence sur le prochain document d’orientation 2010-2014, attendu dans quelques mois ?

Thème 1 « Devenir un acteur international »

Les succès de l’ouverture à l’international de l’INRA sont salués par le rapport de la direction : « 40% des 3500 publications sont cosignées avec un partenaire étranger : quel score ! » Cette prouesse relevée, au nom du principe bien connu qu’il faut changer une équipe qui gagne, la DG va tout reprendre.

« La question est bien celle d’un changement de braquet. Ce faisant l’INRA se met en situation de répondre favorablement à l’attente des tutelles ministérielles ». C’est donc cela qui motive le changement, se mettre en quatre pour faire plaisir au gouvernement... qui nomme nos dirigeants !
S’il est question de « haut débit », rassurez vous ceci ne concerne évidemment pas le flux des idées, la réflexion sur les enjeux de la recherche publique se limite à quelques lieux communs bien commodes quand on veut continuer à ne pas effrayer les vieux complices du lobby agro-industriel : « sécurité alimentaire », « agricultures interdépendantes », « risques globaux », « changement climatique ». Rien sur la fin du pétrole à bas coût, base du modèle productiviste et sur l’urgence de la réduction des émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture (facteur 4). Nos dirigeants se fient à leur croyance quasi magique dans la technologie (la plante miracle, la bactérie providentielle) qui tranchera les choix que nous ne voulons pas faire.

Dans un monde globalisé soit on coopère soit on « compétitionne » et à l’indice des citations c’est la compétition qui triomphe à l’INRA contre la coopération : 3-1 ! Logique car l’ambition de l’institut est d’attirer les « meilleurs du monde », pour devenir ainsi un Real Madrid de la recherche agronomique.
Nous notons avec intérêt que des lieux d’échanges sont prévus sur les problèmes éthiques liés à la recherche, espérons qu’il s’agit là de concrétiser l’ouverture des conseils de l’INRA à tous les porteurs d’enjeux des thèmes « agriculture, alimentation et environnement ».

Parmi les bonnes intentions, on notera que la qualité de l’accueil des chercheurs étrangers devrait être améliorée. Et la Méditerranée devient une priorité géographique, pourquoi pas ? Nous nous interrogeons seulement sur le partage des rôles entre CIRAD, INRA et Contorsium.
L’ouverture se traduira aussi par l’établissement de liens avec les riches fondations Bill&Melinda Gates et Rockefeller, parions que l’agriculture durable en sera confortée avec les semences Monsanto au service de la petite paysannerie du monde !

Thème 2 « Eclairer et anticiper : les fonctions d’expertise et de prospective »

La réflexion de la direction se situe dans un contexte qu’il est bon de rappeler :
Hors INRA :
 A ma gauche, comme le dit si bien le document de la DG, une sorte de grosse tension « renouvelée et approfondie » entre la recherche et la société (agriculture durable, où es-tu ?),
 A ma droite (tiens, ça, ledit document n’en parle pas ?), la forte pression exercée sur les frêles épaules de l’institut par certains secteurs économiques puissants et porteurs d’une vision pas forcément bien durable de l’agriculture.
 Cependant que les moyens d’expertise sur fonds publics fondent (exemple, l’expertise conduite dans les ministères), RGPP oblige et suppression de postes de fonctionnaires.

A l’INRA (et plus largement dans la science) : il n’y a plus que la publication dite « d’excellence » qui compte, elle repose sur des chercheurs hyper-spécialisés, et ces publications n’exigent pas toujours une compréhension du contexte et des enjeux sociétaux des recherches. Contrairement à l’expertise, pas vraiment reconnue pour l’avancement de carrière, mais pour laquelle l’INRA a plutôt intérêt à ce que les chercheurs maîtrisent les enjeux, quand ils s’expriment publiquement sur des sujets qui peuvent fâcher (à ma gauche ou à ma droite !).
Dans ce contexte, l’urgence serait que tous les personnels, dans toutes leurs recherches et à tous les niveaux de qualification, acquièrent une meilleure compréhension des présupposés, enjeux et implications idéologiques et politiques de ces recherches. Ce qui suppose un dialogue avec tous les porteurs d’enjeux, et une activité connectée le plus possible au monde réel.

Mais ce n’est pas la préoccupation de notre direction. Il s’agit surtout pour elle de réguler les demandes et de professionnaliser l’activité d’expertise (c’est compliqué, souvenons-nous, à ma gauche la société, à ma droite le lobby ... Pas facile de faire plaisir à tout le monde !), et là on sort les grands mots : règles déontologiques, équité, questions d’éthique, re-légitimation sociale de l’expression scientifique : questions plus que fondamentales effectivement, mais il aurait été préférable de se les poser avant, pas uniquement au moment de l’expertise ! Mettre les bœufs avant la charrue, ce serait quand même mieux !

Enfin, la direction fait semblant de se demander pourquoi il est si compliqué de trouver des volontaires à l’INRA pour faire de l’expertise. Allouer les crédits de recherche selon le nombre de publications « d’excellence », cela n’aide pas, c’est sûr. Mais ne nous inquiétons pas (quoique ?) elle trouvera une solution, une prime à l’expertise....

Thème 3 « Renforcer la capacité de programmation scientifique et de gestion des projets »

La note 3 signale la montée en puissance du financement des recherches sur projets,
qui est analysée plutôt de façon « négative », ce sur quoi on peut facilement s’accorder :
 « mobilisation considérable des chercheurs dans la réponse aux appels d’offre avec des succès variables » ;
 « mise en place d’une gouvernance lourde qui mobilise de manière parfois redondante de multiples experts et qui devient progressivement le goulot d’étranglement de la gestion des projets » ;
 « multiplication des systèmes d’évaluation. »
Et elle souligne même des conséquences franchement problématiques pour l’Institut :
 « affaiblissement paradoxal de la notion même de projet — puisque l’atteinte d’un objectif particulier suppose souvent de monter plusieurs projets relevant de logiques et de programmes distincts »
 « risque de perte progressive de l’efficacité de la programmation propre de l’Institut. »

Pour remédier à ces dérives, avec la perte de « pouvoir » de l’Inra sur la programmation scientifique alors que l’Institut continue d’y mettre les plus gros budgets (salaires etc...) la direction propose de concentrer les moyens de fonctionnement distribués par l’Inra sur 2 niveaux : un niveau interdisciplinaire inter-départements, et un niveau disciplinaire intra-département de « haut niveau ». Bien sur, tout cela se produit dans un contexte de massification (haut débi-li-tisation) des données, de plateformisation de la recherche (après des plateformes séquençage, génotypage), déconnectées de la « vraie » agriculture.
Il est reconnu que « certaines activités scientifiques de l’Institut s’accommodent mal d’une stricte organisation en projets calibrés : la détection, l’exploration, et le soutien à l’émergence de nouveaux fronts de recherche requièrent des modes agiles et flexibles d’animation et d’incitation ; la constitution de ressources expérimentales (observation de l’environnement ou de pratiques agricoles, constitution de cohortes, gestion de ressources génétiques et génomiques, etc.) suppose ainsi des investissements dans la longue durée. »

MAIS ce seront des exceptions. L’essentiel des activités INRA passera en « mode projet ». L’avancée majeure par la généralisation du « mode projet » sera pour la direction un contrôle quantitatif facilité des activités.
Pour que ce changement radical de culture scientifique avance vite et bien, et pour que les Départements suivent ce nouveau tempo sans rechigner, la DG prend les rênes. Côté moyens, se référer au Thème 4 où la DG place budgets, ressources humaines et services d’appui sous son contrôle vertical, via les Centres et au détriment des Départements.

Du côté scientifique, certains grands programmes seront pris en charge directement par le collège de direction. L’exemple choisi est celui de « biomasse, bio-énergie et chimie verte », C’est assez démonstratif de la vision globale de la direction de l’institut : suivre le fil du courant productiviste est toujours d’actualité avec des adaptations à la marge du modèle dominant. Alors que la donne pourrait être, dans 10 ou 15 ans, celle d’une agriculture et d’un monde où l’énergie fossile sera devenue rare et chère. S’abriter derrière le changement climatique évite de réfléchir à l’après pétrole
Comment peut-on ainsi mettre la charrue avant les bœufs (bis) ?
Comment faire de la recherche avec un pas de temps d’une entreprise du secteur bancaire ou financier ?

Pour rassurer les Départements dont les compétences ne sont pas appelées à briller dans ces grands programmes, un hochet a été prévu. Chaque département de recherche sera ainsi responsable « d’un (ou deux) programme(s) et de sa (leur) déclinaison en projets » au sein des unités. C’est un peu court pour entretenir l’expertise de l’Institut sur la globalité des disciplines agronomiques. A vouloir mettre le paquet sur les priorités d’aujourd’hui, nous préparons-nous vraiment aux enjeux de demain ? Gardons-nous la maîtrise de voies alternatives, en cas d’échec des choix d’aujourd’hui ? Et que reste-t-il aux unités, que l’exécution des projets décidés aux étages supérieurs ? Comment pourront s’entretenir et s’épanouir les collaborations et partenariats locaux qui font aussi la richesse de l’Institut et constituent encore une porte d’entrée essentielle pour les porteurs d’enjeux ?

Thème 4 « réorganiser l’appui à la recherche au service des unités et des équipes »

L’organisation actuelle des services d’appui à la recherche est certainement perfectible. La DG vise un basculement vers un magma technocratique incompréhensible et déshumanisant : les MOA, comprenez maîtrises d’ouvrage, expriment un besoin ou prescrivent une action, cependant que les MOE, comprenez les maîtrises d’œuvre, les appliquent. En clair : il s’agit de redéployer, de manière pour l’instant obscure, tout un ensemble d’activités des départements vers les centres, soi-disant pour renforcer les départements, dans un contexte politique global où on a du mal à voir quel est l’enjeu, si ce n’est sous couvert de « rationalisation » de réduire le nombre de postes, la variable d’ajustement de toute politique libérale. .

Concentrer, pour quoi faire ? A quels services d’appui pense-t-on donc ici ? Sont concernés « la gestion des personnes, des finances, des partenariats et des infrastructures ». Encore plus clairement : ce qu’on veut faire « monter en puissance », c’est la gestion des contrats, des ressources et outils, et l’appui à la programmation scientifique et à la gestion de projets. Pauvre « développement durable », noyé là-dedans pour adoucir la pilule... En bref, tout ce qui n’alimente pas directement les moyens, la compétitivité et « l’attractivité » de l’INRA est sorti du champ de la réflexion. Citons par exemple : l’hygiène et sécurité, les services sociaux, l’assurance qualité...

Une logique comptable et clientéliste. Bien que les auteurs de la note s’en gargarisent, la réforme propose tout le contraire de la proximité et du service. Du côté des outils analytiques, on a déjà vu les conséquences de la création de plateformes labellisées : paperasses, file d’attente, sélection, tarifs... Il ne faut pas rêver, la concentration des services d’appui à la sauce « compta analytique », ce sera beaucoup d’informatique, une administration jargonnante et labyrinthique, des guichets où il faudra montrer patte blanche, des indicateurs de performance et des priorités. Pour les DU et scientifiques, c’est la fin de toute liberté budgétaire dont ils disposaient encore : plus de trésorerie pour les coups durs, la recherche à long terme. Notons aussi que le demandeur du service est aussi le payeur, ce qui ne sera pas du tout anodin dans la gestion des budgets des unités. Pour l’instant par exemple, le salaire d’un informaticien ou d’une secrétaire ne coûte rien à son unité de rattachement : faudra-t-il un jour se payer leurs services, comme à une entreprise extérieure ?

Demain, l’externalisation totale ? Sans doute l’avenir tracé... L’annexe de la note est claire : le maître d’œuvre est « l’entité retenue » pour réaliser l’ouvrage ou le service demandé par l’unité. Il y aurait donc sélection... Quels services n’assurerons-nous pas, ou plus ? Certains services seront-ils soumis à la concurrence des acteurs privés ? Ou à celle des autres acteurs publics, comme s’arrachent déjà les « mandats de gestion » des UMR INRA-Université ?

« H » comme Humain. Dans le contexte actuel, les mots "mutualisation", "transfert" et "doublons" sont lourds de sens. Le portrait que le magazine Challenges d’août 2009 a fait de Marion Guillou et de la réforme engagée est sans fard : « Les changements demandés par le gouvernement permettraient de faire des économies en mutualisant certaines dépenses ». Voilà qui est certes plus limpide que le verbiage ampoulé qui habille ce thème soumis à la consultation...
Par ailleurs, comment les personnels des SDAR seront-ils accompagnés dans les changements de métiers auxquels ils sont promis ? Mystère... Qui contrôlera les recrutements et les carrières des SDAR ? L’autorité sera « unique » mais n’appartiendra pas aux acteurs « scientifiques », départements et unités, dont l’accès à des moyens vitaux sera donc ainsi soumis à un arbitrage supérieur

Enfin, quelle vie bien agréable auront les personnels d’appui ? Leurs activités seront centralisées, fort bien. Pourront-ils continuer à travailler dans leur unité de rattachement actuelle ? Selon les demandes, seront-ils censés être déplacés ici ou là ? Pour combien de temps ? A quelle distance de chez soi ?

Quid des interfaces ? En s’intéressant à l’arbre, on en oublierait la forêt... Comment cette organisation s’articule-t-elle avec les échafaudages en cours d’empilement ? Contorsium, Institut du Vivant, lien avec les Universités... Les Centres seront-ils fusionnés, et si oui sur quels contours ? Y aura-t-il deux échelles, selon que l’on est « dans » ou « hors » des régions actives dans le Contorsium ?
Et au sein de l’INRA, où s’interfaceront, exactement, l’appui et la recherche ? Quand les Centres détiendront les compétences de lobbyistes, de juristes, de communicants, de négociateurs, de « relations publiques » etc etc... qui détiendra réellement les rênes de la programmation scientifique théoriquement dévolue aux Départements ?



Nous proposons au personnel de faire remonter des motions unitaires insistant sur la non sincérité de la démarche de la direction générale :
 compte-tenu des échéances imposées, organiser une telle consultation apparaît un moyen d’emporter de force la contribution des personnels à une réforme à laquelle beaucoup sont opposés,
 réorganiser le fonctionnement et réorienter les priorités de recherche agronomique de l’Institut sans expliquer préalablement au service de quels objectifs d’intérêt public nous paraît porter atteinte à la loyauté de la consultation,
 ce n’est pas une réorganisation qui est proposée mais la désorganisation du ciment scientifique de l’INRA, de l’unité au département de recherche, privés des moyens de leur autonomie scientifique,
 la montée en puissance de la recherche exclusivement sur projets à court terme, et de la politique incitative visant à l’excellence individuelle, portera préjudice aux conditions de travail des personnels et fragilisera l’emploi titulaire, au risque de tuer toute liberté, créativité, coopération scientifiques.

Assez ! Y en a vraiment marre !

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