SUD-Recherche EPST, branche INRA - Contribution syndicale sur les nouvelles techniques d’édition du génome (NBT ou New Breeding Techniques)

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Une forte pression s’exprime actuellement en France en faveur de l’utilisation des nouvelles techniques dites d’édition du génome dans le domaine agricole et notamment pour la sélection variétale dans le végétal, les « new breeding techniques » ou NBT, dont l’emblématique système CRISPR-CAS9. Ces techniques de modifications, qui sont présentées comme permettant des changements ciblés du génome, s’inscrivent dans une vision des êtres vivants qui se réduirait à leur code génétique.

Nous apportons cette contribution syndicale à un débat déjà bien entamé. Il touche aux orientations de la recherche agronomique et à la question du modèle agricole à défendre pour résoudre les enjeux démographiques, sanitaires, environnementaux, sociaux auxquels notre agriculture est plus que jamais confrontée.

Nous espérons que la feuille de route qui va clôturer les Etats Généraux de l’Alimentation traitera préventivement des difficultés posées par ces nouvelles techniques, pour ne pas être condamné à gérer, a posteriori, leurs conséquences, comme c’est aujourd’hui le cas après l’utilisation intensive des pesticides durant des décennies.

Sur ce dossier, nous avions diffusé fin octobre une contribution : « Pesticides et recherche publique : de la capacité de l’INRA à anticiper, ou pas, sur les évolutions règlementaires et agronomiques, à travers le révélateur du glyphosate ». Nous constatons hélas qu’à ce stade, notre Direction ne prend toujours pas toutes les mesures qui s’imposent, notamment à l’échelon des vignobles… avec son choix de transformer en filiale (marchandisée) le domaine de Couhins (INRA de Bordeaux-Aquitaine), alors qu’il devrait être au cœur des recherches de l’INRA pour s’affranchir des pesticides.

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Une forte pression s’exprime actuellement en France en faveur de l’utilisation des nouvelles techniques dites d’édition du génome dans le domaine agricole et notamment pour la sélection variétale dans le végétal (« new breeding techniques » ou NBT, dont l’emblématique système CRISPR-CAS9). Ces techniques de modifications, qui sont présentées comme permettant des changements ciblés du génome, s’inscrivent dans une vision des êtres vivants qui se réduirait à leur code génétique. Le rapport parlementaire OPECST d’avril considère ces NBT primordiales pour la compétitivité des entreprises françaises et se prononce pour qu’elles ne soient pas soumises à la réglementation européenne contraignante sur les OGM (1) . La FNSEA, syndicat agricole majoritaire, souligne leur rôle essentiel pour l’innovation (2) . Du côté de l’INRA, alors que l’ancien PDG co-signait le rapport ministériel #Agriculture-Innovation 2025 très favorable aux NBT (3), des membres de la hiérarchie ont exprimé le fait qu’il ne fallait pas rater le train des NBT comme la France avait raté celui des OGM, alors que les Chinois sont déjà montés dans celui-ci ! Quand on lit les révélations du Monde en octobre sur la façon dont Monsanto a manipulé certains scientifiques pour tromper les citoyens et les institutions sur les risques associés aux plantes génétiquement modifiées tolérantes au glyphosate, on ne peut que se féliciter d’avoir raté ce premier train et qu’être prudent avant de prendre celui des NBT !

SUD Recherche EPST souhaite apporter une contribution à ce débat déjà bien entamé qui touche aux orientations de la recherche agronomique et à la question du modèle agricole à défendre pour résoudre les enjeux démographiques, sanitaires, environnementaux, sociaux auxquels notre agriculture est plus que jamais confrontée.

1. En tant que salariés de la recherche publique, nous n’avons pas d’opposition de principe à utiliser les NBT en laboratoire comme des outils de recherche fondamentale et de connaissance. En revanche, nous sommes en désaccord avec la vision du progrès portée par les NBT pour l’innovation agricole. Les solutions pour répondre à la complexité des défis environnementaux, sociaux et alimentaires posés à l’agriculture ne pourront être que systémiques. Elles ne pourront en aucun cas reposer uniquement sur des changements ponctuels de certains caractères des plantes apportés par les NBT. Est-il par exemple intéressant de chercher à faire fixer l’azote de l’air par des plantes, alors que les légumineuses ont déjà cette propriété mais sont très insuffisamment valorisées dans les systèmes de culture ? Ou de modifier un ou quelques gènes pour rendre une plante résistante à un bioagresseur, au risque d’une part d’impacter négativement d’autres traits de la plante par le jeu des régulations internes, et d’autre part que cette résistance soit contournée par le bioagresseur cible si elle est basée sur une construction génétique simple et déployée largement dans les systèmes de production ? Doit-on chercher à augmenter la productivité agricole pour « nourrir le monde » alors que si 800 millions de personnes sont sous-nourries, cette situation est liée à des conflits, à des difficultés d’accès ou de conservation de la nourriture ou à un déséquilibre des approvisionnements locaux engendrés par la monoculture, et non à un manque de disponibilité globale (4), et que dans le même temps près de 2 milliards d’adultes sont en surpoids dont 600 millions d’obèses (5) ? La recherche ne doit-elle pas privilégier les voies d’une alimentation plus saine et plus diversifiée, avec des produits moins transformés, plutôt que de compter sur l’enrichissement ou l’appauvrissement de certaines plantes en certains composants (6) ? La recherche sur l’édition des gènes coûte cher et l’argent public qui y sera investi ne pourra pas être utilisé pour la recherche de voies agronomiques et sociales qui sont, selon nous, plus judicieuses. La France a déjà fait le choix obstiné du nucléaire pour sa production d’énergie et il ne nous paraît pas raisonnable de continuer dans la même logique de choix politiques orientés par la technoscience en misant sur la toute-puissance des solutions biotechnologiques. Par leur inefficacité à limiter les effets destructeurs sur l’environnement de l’agriculture industrielle, ces techniques coûteuses et mal maîtrisées ont jusqu’à présent surtout permis d’enrichir les multinationales de l’agro-industrie et d’installer un verrouillage technologique au détriment des agriculteurs et des consommateurs, et au détriment de la résilience des écosystèmes naturels comme socio-économiques. Ainsi, les Plantes Génétiquement Modifiées précédemment déployées ont montré leurs effets destructeurs sur les communautés paysannes au Mali, en Argentine, au Burkina Faso...(7) . Enfin, les NBT et leur logique adossée aux profits des multinationales des semences concentrées sur quelques variétés ne feront qu’accélérer la disparition de la biodiversité des plantes cultivées entraînant des risques accrus sur la sécurité alimentaire mondiale.

2. Contrairement à la vision « oui-oui au pays des NBT » qui est souvent présentée, les nouvelles techniques de sélection variétale ne sont pas des « ciseaux moléculaires » qui coupent le génome tout propre, tout net, pour y ajouter en toute précision un élément souhaité. Ces techniques restent des manipulations lourdes de biologie moléculaire et elles ne sont pas aussi maîtrisées que les discours de leurs promoteurs veulent nous le faire croire. Il a été par exemple montré qu’elles conduisent à des mutations non prévues et qu’elles ont des effets sur le repliement de l’ADN à l’endroit où il a été modifié. Les équilibres du monde vivant (de l’écosystème agricole au microbiote intestinal) sont complexes, une diffusion de ces innovations aura à coup sûr, comme l’indiquent déjà les expérimentations menées sur les moustiques (8), des répercussions non prévues sur ces équilibres. L’attrait pour la supposée précision de ces techniques nous ramène à une vision de la génétique du temps de ses pionniers, de type « un gène = une fonction », en niant toutes les avancées qui ont pu être faites depuis lors avec l’étude des caractères polygéniques et la compréhension intégrée des génomes. Enfin, certaines techniques dérivées des NBT telles que le « gene drive » auraient le pouvoir, si l’on venait à les utiliser en milieu ouvert, d’accélérer de façon incontrôlable la diffusion d’un gène dans l’environnement (9). La vision scientiste du progrès, illustrée par cet engouement pour les NBT, ignore délibérément la contribution des écologues et évolutionnistes à la connaissance des écosystèmes. Ces disciplines ont pourtant clairement établi les mécanismes à l’œuvre dans la catastrophe écologique due par exemple aux changements climatiques ou à l’agriculture intensive (10).

3. Les NBT sont des portes ouvertes aux brevets sur le vivant. Le système de protection des variétés, le Certificat d’Obtention Végétale (COV), moins privateur que le brevet, permet l’utilisation de ces variétés par les agriculteurs et les sélectionneurs. La position française des obtenteurs et du GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants) est de demander une modification du COV, en instaurant une protection sur cinq ans avec pour conséquence une restriction sur ces droits d’usage de l’agriculteur et du sélectionneur. L’engouement des entreprises de sélection s’explique par le fait qu’elles anticipent que les NBT seront dispensées de passer par la contraignante procédure d’inscription des OGM, ce qui permettrait d’éviter l’interdiction de facto de culture d’OGM en vigueur dans beaucoup de pays européens. Une telle modification des droits de propriété des variétés végétales serait néfaste à l’autonomie paysanne.

En conclusion, comme pour les OGM, ces nouvelles techniques moléculaires ne changent rien aux problèmes précédents ; pire, elles pourraient les accentuer. En tant que syndicalistes SUD Recherche EPST de l’INRA, nous réaffirmons ici notre refus de voir ces techniques se répandre dans les champs. Nous demandons un débat sur la répartition des moyens de la recherche agronomique. Enfin, nous souhaitons être consultés, avec les autres organisations syndicales de l’INRA et du CIRAD, par le comité d’éthique INRA-CIRAD-IFREMER dans le cadre de son investigation en cours sur les NBT.


(1) Rapport au nom de L’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques sur les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche, M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur, 14 avril 2017. http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-507-1-notice.html

(2) Position commune de la FNSEA (syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole en France), du Groupement national interprofessionnel des semences (Gnis), de Coop de France, des Jeunes Agriculteurs, et de l’Union française des semenciers dans le cadre du Haut Conseil des Biotechnologies.
http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/fr/system/files/file_fields/2016/03/30/cees_1.pdf (pages 24 à 44).

(3) Voir notre analyse https://www.sud-recherche.org/SPIPprod/spip.php?article2303, haut de la page 4 du document en format pdf.

(4) FAO (2017). The state of food security and nutrition in the world : building resilience for peace and food security. http://www.fao.org/3/a-i4646e.pdf

(5) Organisation Mondiale de la Santé (2016). Obésité et surpoids : aide mémoire n°311. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs311/fr/

(6) IPES-Food. 2017. Unravelling the Food–Health Nexus : Addressing practices, political economy, and power relations to build healthier food systems. The Global Alliance for the Future of Food and IPES-Food.

(7) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/16/burkina-faso-les-lecons-a-tirer-de-la-fin-ducoton-transgenique_4866376_3212.html

(8) Le transmoustique n’est pas magique. Canard Enchaîné p.5 14 juin 2017

(9) https://www.normalesup.org/ vorgogoz/gene-drive.html

(10) Voir par exemple Jeliazkov, A. ; Mimet, A. ; Chargé, R. ; Jiguet, F. ; Devictor, V. ; Chiron, F., Impacts of agricultural intensification on bird communities : New insights from a multi-level and multi-facet approach of biodiversity. Agriculture, Ecosystems & Environment 2016, 216, (Supplement C), 9-22.

lien avec l’article « Pesticides et recherche publique : de la capacité de l’INRA à anticiper, ou pas, sur les évolutions règlementaires et agronomiques, à travers le révélateur du glyphosate ».

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